La privatisation de l’éducation en Afrique francophone. Un état des lieux

Dakar, 28 juin 2022

Hôtel L’Adresse – Almadies Zone 7

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La montée de la privatisation de l’éducation est un constat partagé dans le monde entier, et prouvé par de nombreuses recherches au cours des quinze dernières années. Tout en reconnaissant la diversité des formes de privatisation et le brouillage des frontières public-privé, le développement de l’éducation lucrative et payante (marchandisation) contribue à l’accroissement des inégalités et de l’exclusion des systèmes éducatifs, et en même temps détourne les fonds plus que nécessaires des approches du secteur public qui pourraient atteindre les objectifs d’universalité, d’équité et de qualité, notamment fixés dans les Objectifs pour le Développement Durable (ODD). Malgré la forte prégnance du sujet et la mobilisation à cet égard dans l’espace francophone, il demeure un manque important de documentation et d’analyse sur l’ampleur, l’impact, et les réponses politiques à la croissance des acteurs privés dans l’éducation dans les pays francophones, en particulier en Afrique. Le manque de recherche dans ces contextes affecte non seulement la collecte d’information et l’analyse pour bâtir des politiques pertinentes, mais limite également les échanges entre pairs et la visibilité du point de vue francophone dans les débats internationaux. Afin de répondre à ces enjeux, le Réseau de Recherche Francophone sur la Privatisation de l’Éducation (ReFPE) a été créé en 2019 ; il compte aujourd’hui 46 chercheurs et chercheuses provenant de 15 pays. Ce réseau a pour double objectif de visibiliser les études existantes d’une part, et de mener de nouvelles recherches collectives d’autre part.

C’est dans ce cadre qu’un projet de recherche appuyé par l’Open Society Initiative For West Africa (OSIWA) a été lancé en 2021. Il s’agit de monographies sur la privatisation de l’éducation dans cinq pays de la région (Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Maroc, Niger et Togo). Basées sur une approche mixte (méthodes quantitatives/qualitatives), ces monographies ont proposé une analyse du phénomène à partir de quatre axes : l’évolution du secteur privé ; les caractéristiques de l’offre privée ; les caractéristiques de la demande ; les politiques publiques vis-à-vis de la privatisation. Ce projet porte sur l’ensemble des cycles d’enseignement (préscolaire, primaire, secondaire et supérieur). Les résultats de ces monographies seront restitués et discutés lors de ce séminaire. Parallèlement, le ReFPE collabore depuis sa création avec des organisations de la société civile, notamment dans l’appui méthodologique pour l’élaboration de recherches au service du plaidoyer. Plus récemment, une collaboration s’est concrétisée entre le réseau de recherche et le Programme d’analyse des systèmes éducatifs de la CONFEMEN (PASEC) pour mieux saisir les dynamiques de la privatisation sous l’angle de la qualité de l’éducation. En effet, les enquêtes menées par le PASEC analysent les tendances en matière d’acquis d’apprentissage, au primaire et bientôt au secondaire, dans plusieurs pays d’Afrique francophone et récemment dans 14 pays. La comparaison des résultats des élèves entre le privé et le public, la performance des écoles et leur caractérisation font partie des dimensions traitées par l’enquête. Les données issues de ces collaborations seront également présentées dans le cadre de ce séminaire.

La privatisation de l’éducation en Afrique francophone : Un état des lieux

Dakar, le 28 juin 2022

(1) Restitution et discussion de résultats de recherche

9h00-9h10Introduction
Mot de bienvenue du Secrétaire général de la CONFEMEN et du Directeur exécutif de l’OSIWA
9h10-10h30Monographies-pays du ReFPE : Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Maroc, Niger & Togo
10h30-11h00Échanges avec le public 
11h00-11h20Pause-café
11h20-11h50Privatisation et marchandisation de l’éducation au Sénégal (COSYDEP)
11h50-12h05Échanges avec le public
12h05-12h35Comparaison des acquis d’apprentissage, performances et caractérisation des écoles au privé et au public (PASEC/ReFPE)
12h35-12h50Échanges avec le public 
12h50-13h00Conclusion

(2) Quelles pistes politiques pour agir ?

14h30-15h45Ateliers thématiques en sous-groupes
15h45-16h00Pause-café
16h00-16h45Restitution des ateliers 
16h45-17h00Clôture de la journée

Heures GMT (Dakar)

La privatisation de l’éducation en Afrique francophone : Un état des lieux

Le 28 juin à Dakar a eu lieu le Séminaire du ReFPE ayant comme sujet « La privatisation de l’éducation en Afrique francophone : un état des lieux ». L’objectif de cette rencontre, qui s’est tenue en présentiel et à distance, était de diffuser les résultats obtenus au cours de ces dernières années en termes de recherche, de collecte de données et d’informations dans le domaine de la privatisation et de la marchandisation de l’éducation dans cette région d’Afrique francophone.

En particulier, le Séminaire da Dakar a été l’occasion de partager les résultats d’un projet de recherche lancé en 2020 par le ReFPE et appuyé par l’Open Society Initiative For West Africa (OSIWA) intitulé « La Privatisation de l’éducation en Afrique Francophone. Monographies Pays ».

L’organisation du Séminaire de Dakar a été aussi accompagnée par la CONFEMEN. Comme souligné par Hilaire HOUNKPODOTÉ (Coordinateur du Programme d’Analyse des Systèmes Éducatifs (PASEC) au sein de la CONFEMEN), la privatisation de l’éducation est un sujet d’importance capitale en raison de la nécessité d’assurer une éducation inclusive, équitable et de qualité, et du fait de la croissante demande d’éducation dans le cadre de l’ODD4. De surcroît, ces réflexions s’inscrivent dans l’effort de promouvoir une éducation innovante et transformatrice, comme indiqué dans le nouveau rapport de l’UNESCO sur Les futurs de l’éducation et dans les documents préparatoires du Pré-sommet sur la transformation de l’éducation, qui a eu lieu à Paris les 28-30 juin 2022.

Présentation des résultats de recherche – Monographies Pays (ReFPE)

Le programme « La Privatisation de l’éducation en Afrique Francophone. Monographies Pays » a été lancé en début de l’année 2020 et a mobilisé treize chercheur.e.s venant de cinq pays de la région (Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Maroc, Niger et Togo). Il a abouti à la rédaction de monographies pays ayant comme but l’analyse du phénomène de la privatisation de l’éducation sur la base de quatre axes communs : l’évolution du secteur privé ; les caractéristiques de l’offre privée ; les caractéristiques de la demande sociale ; les politiques publiques vis-à-vis de la privatisation.

Le travail s’est développé au cours des deux dernières années dans le contexte de la pandémie. Le choix a été de mobiliser uniquement des données existantes, basées sur des statistiques ou des documents de politiques éducatives, et de ne pas faire d’études de terrain. Il s’est agi néanmoins d’un travail important vu que la question de la privatisation de l’éducation reste un domaine peu étudié et dont les informations disponibles sont à la fois restreintes et peu accessibles. Comme les recherches conduites dans les cinq pays de ce projet l’ont démontré, il existe une problématique liée à la disponibilité et à la récolte des statistiques. Ce projet a fourni une connaissance de base de l’engagement du privé dans ces contextes, à partir de laquelle il sera possible d’apporter ultérieurement des éléments d’une prospective plus qualitative.

Au cours des travaux du Séminaire, les membres des cinq équipes-pays ont partagé les résultats de leur recherche ayant comme sujets : l’histoire de la privatisation, les caractéristiques de l’offre privée, la demande sociale, et les politiques publiques vis-à-vis de la privatisation. Il a été aussi indiqué que, d’ici la fin de l’année, cette recherche fera l’objet d’un certain nombre de publications qui seront rendues disponibles. En termes généraux, il est important de souligner quelques traits communs à ces études.

  • Évolution du privé : de manière générale, dans ces pays il est possible de constater une tendance à la privatisation de l’éducation au cours de l’histoire, après les indépendances, avec des variations selon les contextes nationaux et les niveaux d’enseignements.
  • Niveaux scolaires : deux niveaux d’enseignement ont montré une évolution particulièrement significative du privé en éducation, notamment le préscolaire et le secondaire. Ces tendances renvoient à la question de la massification de l’éducation, à la pression démographique croissante et à la priorité souvent accordée à l’enseignement primaire public aux dépens des autres niveaux.
  • Accroissement des inégalités : il a été constaté que l’offre privée n’est pas équivalente à l’offre publique en termes d’infrastructures, profils des enseignants et profils et statuts sociaux des élèves. Dans le privé, les élèves appartiennent aux classes sociales les plus aisées et cela pose des problèmes d’inégalité importants.
  • Positionnement de l’État : dans les cinq pays de l’étude, il a été montré que l’État a favorisé le développement du privé à travers ses propres législations. Toutefois, la question de la régulation reste un vrai défi dans tous les contextes analysés. Il est nécessaire de comprendre comment l’État peut se donner les moyens pour contrôler l’offre privée.

La recherche de la COSYDEP et la comparaison des acquis du PASEC

Au cours du Séminaire, la COSYDEP a présenté la synthèse du rapport d’étude sur la Privatisation et marchandisation de l’éducation au Sénégal, réalisé en partenariat avec la Global Initiative for Economic, Social and Cultural Rights (GI-ESCR), avec l’appui de l’OSIWA. Cette recherche a examiné la situation de la privatisation et de la marchandisation ainsi que son impact sur le droit à l’éducation. L’étude a aussi conduit à la formulation de recommandations clefs qui s’adressent principalement à l’État et indiquent des actions à faire et/ou des mesures à prendre pour que la dégradation de l’école publique et l’expansion de l’enseignement privé ne soient pas préjudiciables à l’effectivité du droit à l’éducation pour tous.

Une Comparaison des acquis d’apprentissage, performances et caractérisation des écoles du privé et du public a été préparée par le PASEC et le ReFPE sur la base du dernier rapport PASEC2019. Il a été possible de montrer l’écart en faveur du privé dans la performance des élèves en langue, lecture et mathématiques et la meilleure dotation des infrastructures privées par rapport à celles du public en termes d’électricité et équipements dans l’enseignement primaire en Afrique subsaharienne francophone. L’analyse du niveau socioéconomique des parents montre un meilleur positionnement social des parents qui inscrivent leurs enfants dans le privé. Ces comparaisons montrent clairement le risque de la reproduction des inégalités engendrées par le phénomène de privatisation dans les pays objets de l’analyse du PASEC. Des informations comparées plus détaillées seront disponibles dans les prochains mois.

Quelques éléments de réflexion issus des débats et des ateliers thématiques

Les discussions qui ont suivi les présentations de ces recherches, et qui ont eu lieu au cours des ateliers thématiques organisés dans l’après-midi, ont porté l’attention sur quelques-uns des défis suivants.

  • Reproduction des inégalités. Le secteur éducatif semble devenir de plus en plus un secteur lucratif qui génère beaucoup d’argent. Le développement de l’enseignement privé risque de créer un système éducatif à deux vitesses et engendrer des inégalités encore plus marquées du point de vue social et économique. Cela dit, des intervenants ont souligné le fait que ce n’est pas toujours le développement du privé qui amène à la dégradation du secteur public et que la diversification peut arranger tous les acteurs. Il a été néanmoins remarqué qu’il y a un risque concret de reproduire des inégalités existantes ou d’en créer de nouvelles.

  • Rôle de l’État. La régulation de la part de l’État sur l’expansion du privé reste fondamentale, surtout en considération du fait qu’un grand nombre d’établissements scolaires ne sont pas recensés et n’apparaissent pas dans les données officielles. Il est ainsi difficile d’étudier la qualité de ces écoles, spécialement les écoles communautaires dans les zones rurales ou les écoles laïques situées en zones périphériques des villes. De plus, il est nécessaire d’accroitre le contrôle sur le recrutement des enseignants du privé, en raison du fait que le privé n’assure pas toujours des emplois décents, ne déclare pas les enseignants aux caisses sociales et n’offre pas les mêmes possibilités de carrière professionnelle que le public. En même temps, des intervenants ont souligné l’importance d’assurer une priorité à la mise en œuvre d’une réglementation étatique plus stricte en matière de curriculum et de langue d’enseignement dans les écoles publiques elles-mêmes. En effet, l’avantage comparatif du privé semble être lié au fait que le privé forme mieux les élèves en français et que les enseignants maitrisent mieux le français par rapport à ceux du public.

  • Brouillage des frontières entre public et privé. Les données analysées se basant sur des chiffres officiels, il n’a pas été possible de montrer les interdépendances qui existent entre le public et le privé, là où les enseignants sont par exemple recrutés dans le public et rémunérés par celui-ci, mais travaillent en même temps dans des écoles privées. La complexité de ce phénomène nécessite pourtant d’améliorer la disponibilité des données, à collecter non seulement sur une base quantitative, mais aussi qualitative.

L’importance d’assurer l’accès à des données de qualité

La question de l’accès à des données de qualité mérite une attention spécifique. En effet, de nombreuses difficultés ont été rencontrées dans l’enquête des Monographies Pays. Dans les cinq pays de cette recherche, il était presque impossible d’accéder à des bases de données statistiques officielles. La plupart de ces études se sont basées sur des annuaires statistiques, là où les données sont souvent agrégées et ne permettent pas une analyse fine. La qualité des données disponibles est aussi un grand défi. Il a été constaté que les informations concernant les établissements scolaires privés ne sont pas toujours correctement enregistrées.

De plus, bien que les données quantitatives nous donnent beaucoup d’informations importantes, lorsqu’elles sont disponibles, il est clair que celles-ci doivent être complétées par des recherches qualitatives afin de saisir l’ensemble des enjeux relatifs à la privatisation de l’éducation.

L’accès à des données de qualité devrait faire l’objet d’un travail de plaidoyer important, afin de mieux comprendre la réalité du terrain et envisager les réformes et mesures nécessaires pour assurer la promotion d’une éducation de qualité pour tous.

CONCLUSION

Le Séminaire de Dakar a permis un moment important de réflexion et de rencontre entre différents acteurs impliqués dans le domaine de l’éducation et intéressés aux enjeux liés à l’engagement du privé. Au cours de la clôture du Séminaire, Sylvain DALA (Coordinateur du Réseau francophone contre la marchandisation de l’éducation) a rappelé que la journée de mobilisation contre la marchandisation de l’éducation aura lieu le 22 septembre 2022 et aura pour objectif d’interpeller les décideurs sur la nécessité de non seulement réguler les acteurs privés dans l’éducation, mais aussi de promouvoir l’accès à une éducation publique de qualité et accessible à tous.

Il est clair que le phénomène de l’engagement du privé en éducation est complexe et caractérisé par beaucoup de contradictions. Le Séminaire de Dakar a été un moment nécessaire pour faire un état des lieux dans certains pays d’Afrique francophone et réfléchir sur les défis qui pourraient faire l’objet de futures recherches et actions.

Compte rendu rédigé par Rita LOCATELLI, Université Catholique de Milan, Italie ; Marie-France LANGE, Institut de recherche pour le développement (IRD), UMR CEPED (Université Paris Cité – IRD), Paris, France ; Thibaut LAUWERIER, Université de Genève, Suisse


 

Membres du projet de recherche
« La Privatisation de l’éducation en Afrique francophone. Monographies Pays »

  • Burkina Faso 
    • Dramane BOLY, Institut supérieur des sciences de la Population (ISSP), Université Joseph Ki-Zerbo, Ouagadougou, Burkina Faso
    • Marie-France LANGE, Institut de recherche pour le développement (IRD), UMR CEPED (Université Paris Cité – IRD), Paris, France

  • Côte d’Ivoire 
    • Zamblé GOIN BI, Université Peleforo Gon Coulibaly, Côte d’Ivoire
    • Claude KOUTOU, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire

  • Maroc
    • Saida ABOUID, Direction de la Coopération internationale de Monaco
    • Abdeljalil AKKARI, Université de Genève, Suisse

  • Niger
    • Aissata ASSANE IGODOE, chercheure associée à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), UMR CEPED (Université Paris Cité – IRD), Paris, France
    • Moussa ISSOUFOU, chercheur associé à l’UMR EFTS (Université Jean Jaurès, Toulouse – École Nationale Supérieure de Formation de l’Enseignement Agricole), France

  • Togo
    • Amévor AMOUZOU-GLIKPA, Institut National des Sciences de l’Éducation, Université de Lomé, Togo
    • Edinam KOLA, Université de Lomé, Faculté des sciences de l’homme et de la société (FSHS), Université de Lomé, Togo
    • Marc PILON, Institut de recherche pour le développement (IRD), UMR CEPED (Université Paris Cité – IRD), Paris, France

Coordination du projet

  • Marie-France LANGE, Institut de recherche pour le développement (IRD), UMR CEPED (Université Paris Cité – IRD), Paris, France
  • Thibaut LAUWERIER, Université de Genève, Suisse
  • Rita LOCATELLI, Université Catholique de Milan, Italie